Deux renards, un tocard et une demi [libre][fini]

La pluie tombait drue, semblable à une chute d’eau qui s’étendrait à perte de vue. Chacune de ses gouttes heurtait lourdement le sol, transperçant l’herbe telles des lames, labourant le sol. Au milieu de l’averse, une frêle silhouette marchait, alourdie par son équipement, menant la bride un cheval ailé qui s’ébrouait de temps en temps pour se débarrasser de la pluie qui ruisselait sur son corps. Impassibles deux jeunes canidés suivaient, pataugeant joyeusement dans les flaques qui jonchaient le sol, leur pelage passant du blanc et orange au marron. Ils allaient sans doute regretter leur acte dès que l’air redeviendrait sec, séchant la boue dans leur pelage, mais pour l’instant ils ne s’en souciaient guère. Ils s’en soucieraient plus une fois en train de se noyer dans une bassine d’eau savonneuse.

Trempée jusqu’aux os, leur jeune maîtresse regardait une petit bâtisse dont s’élevait de la fumée, à la fois attirée et repoussée par l’auberge. Elle était attiré par la promesse d’un repas décent, d’une nuit pas trop humide et par la perspective de pouvoir se soigner un peu, elle qui avait l’habitude de dormir dehors avec ses animaux en couverture. Masi elle avait aussi un peu peur d’entrer, ses économies au plus bas depuis qu’elle avait quitté le groupe dans lequel elle évoluait., groupe dans lequel elle n’avait jamais eu à se procurer de l’argent. Sans compter l’habitude qu’avaient les autres races à la rejeter, surtout les humains, les elfes, les nains, mais aussi les orques et en fait…à peu près tout le monde, tous ne voulant à une partie d’elle même.

Alors qu’elle hésitait entre rentrer dans l’auberge ou dormir dehors, Morbraise moufta, signe qu’il commençait à avoir froid. Pas étonnant après avoir jouer à 20 lieues sur la boue. La demi elfe plia les genoux, se penchant vers l’animal, qu’elle souleva et posa sur la selle de son pégase, Fley, sous la toile cirée qui servait de protection sommaire contre la pluie au cheval, bien que la pluie ait complètement imbibé la toile censée être imperméable. Une fois à l’abri de la pluie, elle reprit sa route vers la taverne tirant Fley derrière elle. Tant pis pour elle, ses compagnons passaient d’abord. Après tout, Fonter l’homme rat détestait ces tavernes et avait déjà forcé d’y rentrer avec le reste du groupe, alors pourquoi ne le ferait elle pas pour plus petit qu’elle ?

Après une marche d’une dizaine de minutes, elle laissa Fley à l’abri dans l’étable, malgré le regard curieux des autres chevaux, et lui enleva l’une sacoches qu’il portait, la seule totalement imperméable de son barda, et qui contenait les livres de son ancien chef. Elle flatta l’encolure de sa monture, passa la sacoche autour de son cou et se planta devant l’entrée de la taverne. Aller. Aujourd’hui elle allait être une elfe. Elle laissa donc ses cheveux trempés dans le désordre le plus complet, son sac ruisselant sur son dos, auquel était accroché une casserole et une épée dans son fourreau, ses mitaines décousues au doigt, tranchant net avec l’aspect traditionnel de son ascendance paternelle. En fait tout cela et ses vêtement élimés lui donnaient plus l’air d’une vagabonde qu’autre chose. Elle inspira puis poussa la porte.

A peine fut elle rentrée qu’une odeur familière lui assaillit les narines. Une odeur acre qui lui rappelait bien des soirées, passées à contempler Etlhalen se remplir progressivement de bière pour aller se vider et s’endormir dans le contenu de son estomac. Tandis qu’elle buvait, elle observait toujours les autres tables, retrouvant les mêmes archétypes. Archétypes qu’elle voyait ici. Des escrocs jouant aux dés, des magiciens sirotant leur vin, des mercenaires dépensant leur paie…et au milieu de tout ça, elle même., la perdue de service. A ses pieds, les deux canidés s’ébrouèrent, puis entreprirent d’explorer ce nouveau terrain de chasse, s’aventurant sous les tables des clients. Pendant ce temps, elle avança au milieu de la cohue du soir, jusqu’à se retrouver face au comptoir, se sentant toute petite avec son barda sur le dos entre deux tabourets, serrant contre elle sa bourse qui ne contenait que quelques pièces de cuivre.

« Excusez moi…se serait possible d’avoir quelque chose à moins de 4 pièces de cuivre ? »

Elle ne connaissait pas vraiment la valeur de la monnaie, ne s’en étant jamais occupé, elle savait juste qu’elle n’avait pas grand chose. Derrière elle, une exclamation s’éleva, alors qu’un vœux gobelin ridé essayait de chasser un éclair blanc avec sa canne.

« A moi ! C’est à moi ! Rend le moi ! »

Alors que son attention était détournée, un deuxième voleur lui vola l’autre tiers de son repas, avant de filer tout aussi promptement sous les tables. Abandonnant les deux tiers de son repas, le gobelin revint au tiers qui lui restait, afin de le sauver de la convoitise de l’ogre qui scrutait son repas. Quant aux deux renards, ils grimpèrent sur un tabouret, et déposèrent devant leur amie leur larcin, avant de la fixer de leurs yeux bleus pour savoir s’ils pouvaient le manger. Elle acquiesça, et se tourna a nouveau vers le personnel de l’établissement, attendant que quelqu'un s'occupe d'elle.

Tandis que Mordbraise et Hurlevent s’occupaient de désosser consciencieusement leurs morceaux de viande à même le tabouret, s’attirant un soupir désabusé mais amusé de la part de la jeune hybride. Puis ils levèrent la tête à l’approche d’une créature féline bien plus grande qu’eux et hérissèrent leur poil pour paraître très légèrement plus gros. Jade concentra son attention plus sur les canidés que sur le félidé, qui demanda amicalement :

-Et vous êtes ? »

Elle ne daigna même pas se tourner vers lui pour lui répondre, ayant peur de perdre ses moyens une fois de plus. Elle se contenta de fixer droit devant elle et lui répondit d’un ton neutre et monocorde, sans émotions, aussi chaleureuse que la tape amicale d'un démon à l'entrée des enfers :

« Personne. Juste une elfe fatiguée qui a faim. »

Autant dire qu'il devrait repasser pour avoir sa réponse. Elle se mit à gratouiller le dessus de la tête de Mordbraise, alors qu’une jolie jeune fille aux cheveux blonds venait l’informer de ses maigres capacités financières.

- Pour ce prix là vous pourriez prendre un plat par jour et ce pendant quatre jours. Après tout dépend ce que vous désirez faire exactement de tout cet argent.


Bon, au moins, elle n’aurait pas à chercher moins cher ailleurs. A croire que finalement tout allait bien se passer. La jeune fille s’était éclipsée avant qu’elle ne puisse commander, aussi elle rabattit son regard sur le tigre, scrutant les tréfonds de son âme de ses yeux gris verts, l’air aussi concernée par le fait que l’être était pensant que par la couleur de ses chaussettes.

- Si vous le désirez il y a un bac que je pourrai vous prêter pour nettoyer vos renards, avant qu'ils ne fassent plus de traces sur le sol.

-C’est pas des renards. Et ils ne sont pas à moi.»

Rectifia Jade sans plus d’explications, d’un air blasé tout en jetant un coup d’œil aux deux compères qui s’amusaient à repeindre le tabouret sur lequel ils trônaient avec la boue sur leur pattes jusqu’à l’évocation du mot « nettoyer » qui leur fit pousser des grognements vers la jeune fille occupée à nettoyer les traces de leur passage, leurs dents aiguisés sorties. L’eau n’était jamais à leur goût, toujours trop chaude pour l’un ou trop froide pour l’autre, si bien qu’ils ne se laissaient jamais nettoyer sans fournir moult morsures et grognements à leur toiletteur. La blonde plaça une dernière réplique avant que la demi-elfe ne close le sujet :

- J'ai de quoi soigner les rhumes si cela vous intéresse.

-Mordbraise s’enrhume tout le temps, ça lui passera dans une petite paire d’heure. »

Elle soupira puis attrapa Mordbraise dans ses bras, le posant sur ses genoux, réchauffant le petit être poilu, salissant son vêtement qui fut jadis blanc. Elle posa la tête sur le comptoir devant elle afin de le maintenir bien au chaud, dans une attitude tout sauf elfique, sauf si on considérait qu'un gobelin agisssait comme un orque et commanda :

« Si vous aviez une assiette avec du pain grillé des œufs et de la salade, se serait parfait…pas de viande…et si vous voulez qu’ils se lavent, laissez leur le bac dans un coin où ils pourront patauger dedans, genre dans l’écurie, ou bien mettez des gants… »

C’est à ce moment précis qu’Hurlevent eu la « bonne » idée de grimper sur le comptoir pour être plus haut par rapport au tigre. Ce faisant, il renversa une bouteille à moitié pleine sur les pieds de ce dernier, griffa le comptoir avec ses petites griffes, ajouta un côté boueux au dit support et grogna férocement sur lé félin, persuadé qu’il pourrait l’intimider ainsi. Une voix agacée sortit de la bouche de la demi-elfe :

« C’est bon vous avez fini de lui faire peur ? »

Note:

L’énorme tigre se retourna, attiré par le bruit d’une bagarre comme pouvait l’être le mercenaire la bourse pleine par les cris d’une fille de joie, aussi maquillée soit elle. La demi-elfe tourna la tête un instant, pour le voir, la démarche patibulaire, rejoindre un minotaure et un orc afin de leur apprendre les règles de base de la politesse en leur faisant rentrer la sanction dans leurs têtes. Et en mettant les poings sur leurs yeux. Au moins, le videur de cette taverne était efficace. Et une volée de marrons pour la table 4 !
Hurlevent en profita pour venir lover sa tête contre la mâchoire de la jeune fille, réclamant son câlin de la soirée, attitude peu commune pour un animal sauvage. Néanmoins, il était vrai que l’animal en question n’était peut être à la base qu’un renard domestique qui avait décidé de la suivre. Après tout, il semblait peu au courant des risques qu’il prenait en titillant un animal d’environ 2 mètres et demi de haut, qui aurait pu le transformer en taie d’oreiller d’une seule main. Seul un animal qui avait toujours été protégé, ou retardé, pouvait avoir comportement pareil. Quoique.

Elle fut tirée de sa rêverie par un frisson qui lui parcourut l’échine, l’obligeant inconsciemment à rentrer la tête dans les épaules. Un mauvais pressentiment lui à la présence qu’elle ressentait dans son dos. Elle sentit instinctivement que quelqu’un la désignait du doigt, et entendit nettement de ses petites oreilles pointues la voix à la fois lourde et grave des nouveaux venus.

« On dirait bien que cette auberge ne surveille pas assez ce qui rentre à l’intérieur. »

Des sourires amusés, à peine perceptibles au milieu du bavardage présent dans la taverne. Un des êtres s’appuya sur le comptoir, alors que Hurlevent le quittait pour partir se réfugier dans la première cachette venue, tandis que sa maîtresse se pliait en deux en jetant des regards inquiet autour d’elfe, son regard son posant tour à tour sur chacun des elfes à la peau de cendre et aux cheveux blancs semblables à des toiles d’araignées. Des elfes noirs, sans aucun doute. Les pires qui pouvaient arriver. D’habitude, les elfes prenaient de haut les demi-elfes, sans toutefois en venir à les harceler jusque dans leur lit, mais dans le cas d’elfes noirs, jugés narcissiques par une race elle-même considérée comme constituée d’égocentriques notoires par les autres races… sans compter le fait que la moitié de son sang venait de forêts… autant dire que mis à part une invasion orque ou une incursion démoniaque, elle ne pouvait trouver pire compagnie.

« Ils devraient faire le ménage plus souvent ici. Moi qui croyait que cette taverne tenait à sa réputation…
-Peut être qu’on pourrait être généreux et nettoyer un peu pour… »

L’elfe n’eut pas le temps de terminer sa phrase, soudainement empoigné par un tigre pesant au bas mot le double de son poids. Avant même qu’il n’ait l’opportunité de réagir, il se retrouva, avec deux de ses compagnons, enchevêtré devant la sortie, laissant leur chef seul expérimenter le compressage d’épaule.

-Messieurs les clients, si vous n'avez pas de quoi payer, je vous prierais de bien vouloir partir sans déranger les clients qui consomment, merci de votre compréhension ...

L’elfe noir s’autorisa un air dédaigneux vers le tigre puis la demi elfe, suivit d’un rire moqueur. Il ‘adressa à la demi-elfe, feignant d’ignorer l’être qui lui broyait quasiment l’épaule.

« Alors comme ça on compte sur les autres pour se défendre ? Ce n’est pas très étonnant quand on voit d’où ça vient… »

La demi-elfe se leva de son tabouret, laissant Mordbraise trottiner jusqu’à derrière le bar, rejoignant Hurlevent qui s’était réfugié dans renfoncement servant habituellement à ranger des bouteilles, endroit qui leur rappelait ici le plus un terrier. Quand à leur jeune compagne, elle commençait à se diriger vers la sortie, sans même avoir rien mangé, après avoir laissé l’argent nécessaire à son repas sur le comptoir. L'accueil avait été parfait, mais malheureusement, il avait fallut que ces elfes viennent la voir, cruels qu'ils étaient. La soirée avait déjà été assez catastrophique comme ça, et elle craignait que toute l’auberge ne lui tombe bientôt sur le dos. Tant pis pour le repas chaud, elle se contenterais de puiser dans ses réserves et de passer toute la nuit sous la pluie dans la forêt, loin de tout interlocuteur potentiel. Elle déclara en ss'éloignant au tigre:

« Excusez moi...je ne vous importunerais pas plus longtemps...»

Voyant que son harcèlement avait porté ses fruits, l’elfe noir éclata d’un petit rire mesquin, et susurra doucement, tout en se défaisant lentement de la prise du videur :

« On paie pour se faire admettre parmi les gens civilisés, la sylvestre ? J’espère que cet elfe n’a pas eu besoin de payer cette humaine pour qu’elle accepte de le faire avec un sauvage… »

Elle s’immobilisa net à la dernière phrase, baissant la tête et tremblant de la tête aux pieds. Les poings serrés, elle enleva son sac de son dos, sous le regard intéressé du troglodyte. Elle serra la main sur la garde de son épée et la dégaina, se jetant en hurlant sur l’elfe noir, hors d’elle-même. Vif comme un serpent, celui-ci se dégagea de la prise de Ralki, dégainant son cimetière pour parer la lame de l’épée droite, dans un claquement métallique, tandis qu’il dégainait une dague de son autre main, qui dans la continuité de son mouvement d’attaque l’entailla juste sous sa paupière droite. Elle recula d’un pas, laissant un mètre entre elle et l’elfe noir, resserrant ses deux mains sur son épée. Peu importe le videur, peu importe les gobelins jumeaux qui encourageaient la bataille, peu importe qu’elle se fasse trancher en morceau, elle allait tailler ce salaud en pièces. Il n’y avait plus rien qui comptait. Plus rien d’autre.

Chapitre V : Deux renards, un tocard et une demi

Episode 1: Demi assommée et Renards espiègles

Eclats de voix, Rebuffades, Attroupements, et cris de gorets plus ou moins pubères... Les signaux étaient explicites: une bagarre. Et dans MA taverne! Par les Dieux que je détestais ça!
Sautant sur une table entre assiettes et cruchons, j'aboyai au plus fort de mon volume sonore :

- « LA FERME! LA FERME OU JE DOUBLE LES ARDOISES! »

un vague brouhaha accueillit ma prestation vocale, puis se tarit en murmures de chuchotis grognons. Une houle d'épaules et de têtes se dispersèrent vers les tables et tabourets, laissant émerger trois silhouettes proches du comptoir.

J'y reconnus Evangeline Manakel, ma serveuse fraichement intronisée à Shéwa, cramponnant le manche d'une poêle à frire, des larmes plein les yeux; Ralki le vigile au poil anormalement ébouriffé; et un énième larron étendu au sol. En y regardant mieux, deux petites choses boueuses et bruyantes tournaient frénétiquement autour du corps affalé, maculant de saletés tout ce qu'elles touchaient.
Eva était bouleversée, son regard tressautant de la personne évanouit à l'outil de cuisine entre ses mains, puis de ses mains à moi, et ainsi de suite. Elle baragouinait déjà quelque chose à mon attention, mais seuls les mots « Elfes », « Jeune fille », « bagarre », «poêle », « pied », « Rey » et « pas le choix T-T » me parurent intelligibles. Pendant ce temps, Ralki s'était rapproché et se soutenait au comptoir, l'air sonné.
J'en souris et félicitais l'ange

- «  Bravo Milki, on dirait que tu veux mieux que mon vigile sur ce coup! Faudrait peut être que j'inverse vos emplois à tous les deux ! »

L'intéressée se crispa un peu plus alors que le tigre grogna ironiquement en s'affalant lourdement sur une chaise proche. Le pauvre faisait peine à voir... J'en mouftais de réprobation, lui ayant imposer le lit aujourd'hui; mais Monsieur n'avait pas cru bon suivre mon conseil. Qu'à cela ne tienne! Qu'il assume sa gueule de bois!
En parlant de sale gueule, je me penchai sur celle embrassant le parquet à mes pieds, et notais avec surprise qu'il s'agissait d'une jeune fille. Demi-elfe à en juger par ses oreilles semi-pointues. J'empoignai son menton pour scruter son visage balafrée d'une belle estafilade sous l'oeil lorsque l'une des deux choses remuantes me mordit les doigts en grognant férocement. J'étouffai un couinement en ôtant vivement ma main avant de reconnaître en cette bestiole un renard blanc tout effarouché. La deuxième était rousse, de la même espèce, et, tout aussi affolée, tournait sur elle même à une vitesse vertigineuse.
Il est vrai que ma maitrise du renardien laissait un peu à désirer, et pourtant, moyennant une série de modulations entre grondement et jappement, je parvins néanmoins à apaiser les petits canidés aux aboies. Ceux-ci allèrent ensuite se tapir dans un caisson vide, derrière le bar, et scrutaient d'un regard nerveux les allées et venus à la ronde.

Autour de nous, la taverne avait retrouvé son calme ruminement habituel, autiste à nos agissements à coté de la fillette inconsciente. Evangeline agrippait toujours sa poêle à frire, les jointures blanchis par son étreinte crispée, et Ralki continuait à sombrer dans les affres d'un malaise fiévreux. D'un mouvement de tête, j'envoyais l'ange s'occuper du vigile alors que je me chargeais moi même et hissais l'inconnue sur mes épaules afin de la mener à l'étage.
Non sans quelques écarts et suite à une bonne suée, je déposais enfin mon « invitée » sur le tas de couvertures composant ma couche, et repartis glaner de quoi la soigner en cuisine.
J'y trouvais Ralki en lutte avec un breuvage nauséabond que Milki tançait gentiment; Rey au fourneau dans sa « bulle » de cuisinier affairé; et Touille trottinant avec moult plats en équilibre sur ses petits bras fin. Ricanant de la mauvaise fortune du tigre, je me faufilais jusqu'au placard pour y soustraire un baume cicatricielle, de quoi faire une tisane, et descendis en cave chercher des glaçons. A mon retour au premier, j'eus la surprise de découvrir les deux renards bouillasseux emmitouflées dans mes couvertures, au plus prêt de leur maitresse qui s'agitait mollement.
J'en grinçais des crocs, hérissant ma tignasse et oreilles couchées de contrariété, ce à quoi les vulpes eurent la présence d'esprit de prendre un air penaud et d'aller se terrer sous l'amas d'étoffes en laine.

A peine éveillée, la jeune fille se démenait déjà pour s'extraire de ma couche en maugréant après je ne sais quoi d'elfe sombre. Mauvaise idée, s'il en fallait. Surtout après la bêtise des renards et l'état de mon lit. D'un grincement grondant, je l'avertis sans détour:

- « Remue encore et je te fais une deuxième excroissance bossue au sommet de ton crane! Alors Couchée et Pas bouger! »

L'autre commença à ronchonner comme quoi je faisais peur à ses renards -qui n'était pas les siens- jusqu'à ce que je coupe court à sa diatribe en l'assommant à moitié avec un sachet de glaçons. Alors qu'elle sursautait de surprise dans un glapissement strident, je choppais son menton et lui débarbouillais le visage à grand coup de gant de toilette humide. Elle se débattit et repoussa mes soins dans un concert de protestations hystériques à propos de mon état de santé mentale et envoya voler quelques couvertures en tout sens.
Sans patience, j'aboyais derechef:

- « Silence Gamine! Ne sais tu reconnaître des attentions bienveillantes quand tu en reçois? Mais si tu as mieux à faire que de recevoir secours et confort, alors pars d'ici! »

Cette dernière se calma instantanément et se renfrogna dans un mutisme buté lourd de réflexions.
Un silence pesant emplit la scène, juste de quoi atténuer nos humeurs respectives. Les renards refirent alors surface comme deux belettes curieuses, et vinrent se nicher sous le cou de leur compagne.
Je finis par m'éclaircir la gorge et repris:

- « Je suis Asalte Warlaf et cette taverne est mienne. Mon employée t'a assommée parce que tu causais du grabuge dans mon établissement et je pense qu'elle t'a sauvé la vie par la même occasion. Ayant du coeur -et parce que tu avais payé ta consommation- nous t'avons ramassée et portée ici pour que tu y sois soignée. Il y a de quoi sur la table de chevet, juste là. Maintenant, si tu es pressée, je ne te retiens pas. Cependant, sache qu'avec ce que tu nous a versé, tu peux rester ici une nuit et un jour, repas compris. Hélas, guère plus car ma taverne ferme ses portes exceptionnellement pour quelques jours. Sur ce, je te laisse. »

Je partis sur ces entre-faits rejoindre le salon encore bondé aider Touille au service.


La jeune fille, qui finalement répondait au nom de Jade Iverson Nordscheim, choisit de demeurer au Crazy Dog le temps de se remettre, et nous quitta la journée suivante pour une destination connue d'elle seule. Escortée de son pégase handicapé et ses deux affreux renards espiègles, Jade promit de revenir à la taverne en la recommandant à son entourage; chose qui lui valut un casse-croute à l'oeil: La patronne que je suis ne plaisante pas avec la pub!
Enfin, le Crazy Dog ferma ses portes momentanément le surlendemain, dispersant ses employés dans la nature pour quelques jours de congés bien mérité, excepté ce pauvre Ralki qui écopa d'une mission spéciale à base de filature angélique....

Deux renards, un tocard et une demi,
Fin